Le 27 décembre 93, Maître Pacéré, fondateur et animateur du musée de la Bendrologie à Manéga au Burkina Faso, accueillant un groupe de visiteurs du Mouvement A.t.d. Quart Monde, leur raconta ainsi la conquête de l’eau dans sa région à une cinquantaine de kilomètres de Ouagadougou. Loin de l’Afrique, comme en écho, une autre histoire de puits. En hommage à Régina et à cet enfant qui, comme elle, a perdu la vie en cherchant à rendre celle des autres meilleure.

« Le premier village qui a commencé à creuser son puits est Babou. (Ce
village a une histoire particulière. C’est la famille directe du Chef. Ce sont
des jeunes de 17 à 25 ans, qui se sont levés, pour créer leur propre village.
Ce sont leurs descendants qui ont creusé les premiers.) Or, pendant le travail,
le puits est tombé sur l’enfant qui était descendu au fond. Cela m’a
traumatisé. Quand la mort frappe, comme ça, au début d’une entreprise, c’est
comme une malédiction. J’ai dit au chef, j’arrête tout. Mais les gens se sont demandés
pourquoi il n’y avait plus de réunions. Le père même de l’enfant qui avait été
victime de l’accident est venu me voir. Il m’a dit : “Mon fils, en
mourant dans le puits, a laissé un message : un enfant doit travailler et
mourir pour son village. Creusez. Si le puits commence à s’ébouler, j’y
descendrai moi-même pour perpétrer la mémoire de mon fils.”
Et nous avons repris. Le père de l’enfant était au bord du trou et demandait
sans cesse : “Est-ce que le puits ne s’écroule pas ?” Mais il
ne s’écroula pas. A 19 m de profondeur, nous avons trouvé l’eau. Ce fut le
premier de nos puits…
Nous avons maintenant huit forages. Pas une femme qui soit à plus d’un
kilomètre d’un point d’eau intarissable. »

A des milliers de kilomètres de là, une cour avait
aussi son puits, couvert d’une planche si lourde posée à même le pavé qu’il en
était devenu totalement oublié.
Dans ce pays, depuis longtemps, l’eau s’était laissée canaliser, discipliner
dans les maisons, partout. Fini pour elle le temps de la sieste au fond du
puits, de temps en temps giflée par un seau qui bascule sans savoir, avant
d’être hissé lourdement pour désaltérer des chevaux fatigués, ou laver le
linge. Son eau, jadis de tous les jours, la voilà endormie comme un volcan
éteint.
Des années plus tard arriva une jeune fille qui
s’appelait Regina.
Sa vie virevoltait comme dansait son archer, libre sur son violon. Elle
papillonnait, avec un sourire tellement ailleurs qu’elle ne pouvait pas en
rester là, Regina.
Un jour, elle était venue volontairement offrir son temps, sans en préciser la
limite. Elle avait déjà passé un mois, assez pour faire comprendre que l’amour
se jouait chez elle comme une danse sacrée entre son archer et ses cordes
tendues comme un corps aimant, les cordes tendues de son instrument. C’était
quelqu’un d’à part.
Avec son violon, elle vous emportait dans son regard, loin. Quand elle était
là, on n’osait pas demander. On l’invitait. On espérait. Elle finissait
toujours par le reprendre dans ses bras, son violon.
Quand elle le couchait, ne serait-ce qu’un instant, elle perdait tous les
pouvoirs qu’elle recevait de lui. La pesanteur la reprenait, effaçant presque
son sourire. A croire qu’elle n’était faite que pour ouvrir ce petit couvercle
de son âme, la caresser de son archer.
Pourquoi a-t-il fallu ce jour-là qu’elle le laisse
seul dans la chambre, dans son petit cercueil garni de velours rouge ?
De là, il ne pouvait plus la surveiller, il ne pouvait plus la maintenir en
vol.
Pourquoi a-t-elle voulu soulever cette lourde planche sur ce puits noir
sournois qui cachait sa colère dans l’oubli ?
Il n’y a pas eu de musique. Pas même un cri. Seulement l’angoisse.
Irréversible.
Le puits n’a rien voulu savoir. Même du violon, il n’a rien voulu entendre.
Depuis, on a scellé à jamais son tombeau. Maintenant, on peut se pencher sans risque.
Mais parfois quand j’entends tout au bout du
silence
les méandres gracieux d’une musique étrange
J’aime à imaginer un enfant noir qui danse
au rythme langoureux du violon d’un ange
© Jean-Michel Defromont – 7 février 2008 – modifié le 19 février 2020
(Merci à Joëlle et à photo-evasion pour la première illustration de cet article. Seconde photo : JMD)